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Photo du rédacteurIsabelle Pitre Coaching Inc.

L'accompagnement de mon père / Témoignage d'une accompagnante



Une expérience de mort physique parmi tant d’autres qui suivront.

Aujourd’hui, il m’est possible d’affirmer avec certitude qu’accompagner quelqu’un jusqu’à son dernier souffle de vie est un acte d’amour et de compassion. Une ouverture totale envers l’autre, un dévouement et une capacité à contrôler les peurs qui peuvent surgirent sont les clés d’un bon accompagnement. Permettre à la personne en fin de vie de ressentir et d’accepter que l’issue physique soit irréversible, mais que l’espace dans lequel elle quittera son corps sera sécuritaire et respecté dans son entièreté. Ce sont des gestes d’amour inconditionnel. Tous sentiments négatifs s’estompent pour faire place à l’amour et au respect. L’accompagnant prend soudainement conscience de sa propre mort qui viendra à son tour.


Mourir fait peur pour plusieurs d’entre nous. Pour certains, accompagner quelqu’un dans cette étape leur est impossible. Pour d’autres, leurs expériences de vie et leur cheminement spirituel les ont naturellement préparés pour l’accompagnement et il y a ceux chez qui cela semble inné.

Bien accompagner signifie être calme et en mode d’écoute constant, suivre le déroulement

naturel des choses et s’adapter aux situations qui se présentent. Garder son calme en toutes

circonstances, même si parfois cela requiert un effort de se contrôler devant certaines

absurdités. Une fois la peur évanouie, l’accompagnant devient rassurant sans tenter de

convaincre de quoi que ce soit. De toute façon que peut-on répondre à « Il y a quoi après? »

puisque la question est impossible à élucider.


Accompagnement d’un proche

Ce fut mon tout premier accompagnement que celui de mon père. Deux ans de soutien sur

une base hebdomadaire, puis six jours et six nuits à l’hôpital. Cette expérience de vie fait

maintenant partie de celles les plus difficiles et les plus intenses en émotions et en

questionnements intérieurs de toutes sortes. L’excellente formation de l’école fut une

bénédiction car, sans elle, l’improvisation aurait été le mode d’accompagnement. Chaque

humain aurait intérêt à posséder dans son bagage une telle formation puisque la mort

n’oublie personne.


La coupure

La coupure avec le domicile semble être extrêmement traumatisante. La tristesse d’avoir à

quitter dans une ambulance, à la vue des voisins visiblement inquiets parce que le corps

n’avance plus, crée un fort sentiment d’impuissance, puisque l’esprit ne semble pas ressentir les effets du temps comme le subit le corps. Vouloir mourir à la maison est légitime, mais la souffrance intense ne le permet pas toujours. Le plus grand souhait de mon père était de mourir dans son lit chez lui. Ce fut impossible de lui accorder ce souhait puisque la majorité des membres de la famille était en désaccord. Chuchoter de l’endroit de la mort de quelqu’un en sa

présence dans la maison fut douloureux en tant qu’accompagnante. Discuter avec mon père

pour tenter de lui faire accepter le choix des autres fut indécent. L’accompagnant doit rester

calme, ouvert et rassurant pour tous malgré les désaccords et accepter que les souhaits ne

soient pas toujours réalisables. Grâce à la grande compétence, la compassion, l’écoute et

l’humour des ambulanciers, mon père a finalement accepté avec un demi sourire. Une fois

la médication contrôlée à l’hôpital, il ne souhaitait plus retourner à la maison. Il avait réalisé

à quel point il était souffrant, que la fin était proche et qu’il serait accompagné jusqu’à la

fin.


L’attente de soins

L’hôpital est un endroit où le bien-être et le respect humain semblent avoir presque disparus

sauf à quelques exceptions près. L’écoute de l’autre est en grande souffrance soit par

distractions, dont le cellulaire en fait souvent partie, soit par épuisement ou soit par inintérêt. La peur de faire des erreurs de protocole mine la compassion. Faire attendre un patient en grande faiblesse pendant une journée entière assis en pyjama dans une chaise roulante et qui mourra une semaine plus tard, il y a de quoi se poser de sérieuses questions sur la gestion des cas. L’arrivée en ambulance ne garantit en rien l’urgence. Pour l’accompagnant, cela demande une grande maîtrise de soi, un lâcher prise et une acceptation de la situation afin de ne pas rajouter de stress sur l’énergie de la personne souffrante. Celle-ci étant en détresse émotive de la mort qui approche et qui pourtant semble invisible aux yeux des premiers soignants.

L’attente, les examens, les discussions et enfin le diagnostic sont extrêmement exigeants pour tous. L’accompagnant a la responsabilité de contrôler ses émotions et de s’outiller d’exercices de respiration, de méditation, de prière et surtout d’humour respectueux. Mon père a su conserver son humour très développé jusqu’à la fin et cela lui a été salutaire dans les moments les plus difficiles. L’humour désamorce et dédramatise. Il est donc important pour l’accompagnant d’avoir un très bon sens de l’observation et d’écoute afin de déceler le ou les traits positifs dominants chez la personne afin de les faire ressortir pendant les moments de stress. Les ambulanciers l’avaient décelé dès leur premier contact avec mon père.


Les nuits sans sommeil ou presque

Après une telle expérience d’hospitalisation et de fin de vie, difficile de laisser quelqu’un seul à l’hôpital, de jour comme de nuit. Trop de gens malades, peu de soignants attentifs et très peu ou pas d’accompagnants. Garder son calme et rester zen tient du miracle. L’accompagnant qui veut tenir le rythme doit rester positif et garder son énergie élevée par des techniques de respiration et de concentration sur le moment présent et sur la personne qui a besoin d’accompagnement. Bien sûr, comme dans n’importe laquelle des situations, il ne faut pas généraliser. Il y a des établissements de santé publics qui sont certainement meilleurs que d’autres.


Veiller au bien-être du malade en route vers la mort est le centre d’attention. Être respectueux avec le personnel soignant est vital pour le confort de la personne en fin de vie. Demander souvent s’il le faut, mais demander gentiment est la clé dans toutes situations. Accompagner veut dire être à l’écoute du langage du corps; aider à replacer la literie, rafraîchir lors de fièvre, trouver des postures confortables, aider aux repas et lors de vomissements, aux besoin d’hygiène, aux crises de panique, aux pleurs, aux peurs, aux prières, et aux non-dits. Le silence et le sommeil prennent une très grande place dans le cheminement du mourant. Les moments d’éveil sont très importants. L’accompagnant doit être en mesure de se sentir à l’aise pendant de longues périodes de silence et en profiter pour se ressourcer. Parler peu, mais parler avec discernement lorsque requis.


Dormir peu ou pas la nuit a des conséquences énormes sur le cerveau de l’accompagnant. Après la troisième nuit les effets commencent à se manifester. Sans sommeil réparateur, le système nerveux devient fragile. Le personnel soignant respecte un protocole de soins en réveillant les malades et les mourants aux 3 heures environ pour prendre leurs signes vitaux sous la lumière intense des néons. L’accompagnant doit veiller à son propre bien-être physique et psychologique. Avoir des vêtements de rechange confortables pour la nuit, boire et manger légèrement mais régulièrement, se faire remplacer lorsque possible. Les pauses et le sommeil sont vitaux pour un bon accompagnement. Mieux vaut quitter et revenir frais et dispo même si la personne peut mourir en notre absence. Accompagner en carences n’apporte rien de bon à personne. Faire confiance que tout ira bien.


Soins palliatifs et de conforts en milieu hospitalier : mourir seul, ensembles

Plusieurs à mourir dans la même chambre, mais chacun seul dans la mort. Heureusement, mon père a eu la chance qu’une chambre privée se libère. Son souhait sera à demi réalisé. Les souffrances s’accentuent et le besoin de médication constante est nécessaire. Cette étape est difficile pour l’accompagnant et la famille, puisque c’est un signe que la fin approche. Mon père demande l’aide médicale à mourir, mais ce n’est pas possible, trop de délais. L’accompagnant se doit d’être attentif aux besoins religieux tel que la rencontre avec un prête ou un pasteur.


Le corps d’un mourant se prépare à quitter. Les besoins de base comme la nourriture et l’eau deviennent absents et la respiration devient très courte et lente comme en état de méditation profonde. L’accompagnant doit respecter que le mourant ne veut plus se nourrir même si une diététicienne fait son apparition pour planifier des menus élaborés et que les plateaux continus d’être servis aux heures des repas; protocoles obligatoires. Un peu d’eau de temps en temps et parfois seulement pour humecter les lèvres avec une éponge au bout d’un bâtonnet sont suffisants. Les pieds et les mains commencent à changer de couleur.


La science explique que le corps se prépare à mourir et ne ressent plus la faim et que le système digestif se désengage de ses fonctions pour garder que la respiration et le cœur en mouvement jusqu’au départ. Le mourant ne souffre plus de la faim et après un certain temps, ni de la soif.

Doucement l’inconscience s’installe, mais parfois le visage démontre des signes de souffrance. La médication est un soin de confort et non de mort. En milieu hospitalier, les doses sont ajustées rapidement au besoin.

Ces moments de grands silences permettent à l’accompagnant de se tourner un peu plus vers les gens présents. Cela demande une grande ouverture du cœur afin d’accueillir les émotions tout en étant respectueux des sujets abordés en présence de la personne en fin de vie. Il est aisé de percevoir qu’elle est dans un état de réceptivité beaucoup plus subtil qu’on ne peut le penser.


Traumatisme surprise pour l’accompagnant : être bien outillé

Une nuit, un événement inattendu est survenu. Mon père inconscient a réagi soudainement

lorsqu’une préposée s’est présentée pour le vêtir d’un sous-vêtement d’incontinence. Un

protocole obligatoire avant la mort. J’ai apporté mon aide à la préposée, puisqu’elle était seule, même si je n’étais pas du tout à l’aise de le faire. En soulevant une jambe, son visage est devenu souffrance et il a gémit de douleur sans ouvrir les yeux. Les nuits sans sommeil réparateur ont rendu mon système nerveux fragile. J’ai demandé à la préposée de sortir et de laisser mon père tel qu’il était afin de lui éviter toute souffrance supplémentaire. Il semblait tellement paisible et inconscient qu’à la vue de sa réaction j’ai subi un état de stress causant de l’hyperventilation et de la paralysie lorsque la préposée est sortie. Choses que je n’avais jamais vécues.


Après plusieurs minutes dans cet état et une sensation de froid qui montait très vite des

extrémités de mon corps, j’ai réalisé qu’il fallait que je sorte de ce traumatisme rapidement. Le plus efficace fut de me parler comme si quelqu’un d’autre le faisait. De cette façon, mon

cerveau écoutait les directives comme s’il s’agissait d’une autre personne. Je me suis souvenue de beaucoup de techniques apprises au fil du temps. Tout ce processus a duré environ quinze minutes. Cela semble court, mais pour le corps et l’esprit c’est très exigeant. Je me suis permise d’exprimer à mon père et à haute voix que j’étais physiquement au bout de mon accompagnement et trente minutes plus tard il décédait. Ne pas sous-estimé l’écoute des mourants inconscients.





Une expérience personnelle à partager : la vie continue

Je me dois de partager cette expérience positive des derniers moments de vie de mon père afin de terminer ce texte sur une note joyeuse. De son vivant, il adorait s’asseoir au soleil après le dîner et ressentir la chaleur et la lumière sur sa peau. Assis sur son balcon, et ce, chaque jour ensoleillé, il en a bien profité. Il a pu faire de même avant de plonger dans l’inconscience. Il a eu droit à une magnifique chambre privée avec vue panoramique au 5 e étage deux jours avant son départ. Un miracle en soit. Il a été récompensé malgré sa réticence à quitter sa maison.


Après lui avoir exprimé mon incapacité physique à continuer l’accompagnement, je me suis endormie pendant trente minutes. À 2 h 30 du matin, un bruit de grattement dans une des grandes fenêtres me réveille. Le bruit est persistant et je n’arrive pas à le localiser puisque rien n’est apparent sur les rebords. Soudain, je lève les yeux et j’aperçois un harfang des neiges qui picosse dans le haut de la fenêtre et ses ailes frotte sur la vitre faisant un bruit étrange. Un tel oiseau en pleine ville la nuit, au 5 e étage et au mois de septembre, difficile à croire. Dès que je l’ai aperçu il s’est envolé.

J’ai réalisé que mon père devait être décédé et en me retournant j’ai vu qu’il venait tout juste de quitter. Mon père avait toujours dit qu’à sa mort il aimerait pouvoir voler comme un oiseau. C’était son clin d’œil pour me dire, réveille-toi, va te reposer, je pars maintenant. C’était son cadeau de départ et cela a beaucoup apaisé mon cœur et mon esprit. Un sentiment de liberté et de guérison a envahi mon corps. Je me sentais tout à coup beaucoup mieux et avec la sensation que tout était parfait et accompli.


La formation sur la fin de vie, les formations en médecine douce ou alternative, les lectures et les recherches sur la croissance personnelle et spirituelle m’ont très bien préparée à cette

semaine d’accompagnement. Même si nous ne pouvons pas mettre en pratique régulièrement ce que l’on apprend au fil des années, la mémoire est une faculté extraordinaire. Grâce à tous ces processus d’apprentissage, la boîte à outils énergétique est bien garnie et sera toujours disponible dans les moments les plus inattendus.


Merci à l’École Isabelle Pitre Coaching pour cette excellente formation.

Cette expérience d’accompagnement fut extraordinairement enrichissante pour mon âme.

Un outil indispensable dans cette expérience collective inévitable qu’est la fin de la vie humaine.


Sophie Beaulieu, Blainville

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